13 mai 2007

Les frères Rousseau

31 mars
j'ai reçu un courriel de normandie aujourd'hui. ce n'est pas comme si je ne m'y était pas attendu, mais mes devoirs sont arrivés. mon premier exercice consiste à trouver un soldat canadien tombé au combat et enterré dans un des deux cimetières près de Courseulles-sur-mer. j'ai donc 1) à trouver un soldat 2) à réussir à fouiller son passé pour obtenir toute sorte de factoïdes 3) à tenter de trouver de sa famille disponible pour une tite jasette 4) préparer une présentation de 5 minutes.

j'ai donc passé la matinée à farfouiner sur le net pour trouver un canadien-français tombé en normandie. je me suis arrêtée sur le lieutenant Philippe Rousseau, originaire de Montmagny, un parachutiste décédé le 6 juin 1944, soit dans la nuit du débarquement de Normandie. Son frère Maurice est décédé 3 mois plus tard en normandie aussi, et ils sont enterrés l'un à côté de l'autre au cimetière de Ranville. En écrivant au Régiment de parachutistes canadiens, j'ai été mise en contact avec Jan de Vries, un vétéran ayant appartenu au 1er bataillon de parachutistes canadien.

5 avril
M. De vries me répond mais n'a que très peu d'information sur les frères Rousseau, ne les ayant pas lui même connu. Il me réfère à monsieur Andrew Roy, un autre vétéran qui a été en contact avec trois frères et soeurs des Rousseau il y a trois ans.

7 avril
J'appelle Monsieur Roy. Il me dit d'abord que la famille Rousseau n'était pas intéressée à partager l'histoire de leurs frères lorsqu'il les a rencontré. Ils sont assez âgés et sont - selon lui - des gens assez bourgeois de la haute ville de Québec. Il me déconseille fortement de prendre contact avec eux, ce qui limite mes chances d'avoir des informations supplémentaires pour ma biographie. Il me réfère tout de même à un français, monsieur Alain Sillas.

Alors qu'il déposait des drapeaux canadiens sur les tombes des frères Rousseau au cimetière de Ranville en 2004, un homme, monsieur Sillas, lui a demandé s'il les connaissait. Il a donc répondu avoir servi avec eux pendant la guerre. Monsieur Sillas lui a donc raconté être en train d'écrire un livre avec quelques chapitres sur les frères Rousseau. Le père de sa femme avait servit avec Maurice dans les Special Air Service britanniques, des commandos de parachutistes sur-entraînés avec les missions les plus périlleuses de toute l'armée. Maurice Rousseau était mort en permettant à son beau-père et à 2 autres hommes de s'échapper, et monsieur Sillas voulait rendre hommage à tous ces Canadiens qui étaient venus se battre en Europe et qui y avaient laissé la vie.

J'ai donc pris contact avec monsieur Sillas qui m'a cordiallement et sympathiquement invité à lui rendre visite lors de mon séjour à Paris. Entretemps, j'ai visité la Grande bibliothèque et j'ai épluché les livres sur le débarquement et sur les parachutistes pour retracer toute information succeptible de m'aider dans ma recherche.

24 avril
Arrivée à Paris depuis 24 heures, je me rends en banlieue pour rencontrer Monsieur Sillas. Je vous ai déjà montré des photos de son appartement et de sa collection, mais je me dois de réitérer que c'était très impressionant que de voir quelqu'un d'aussi passionné. Il avait même prit congé la journée où je suis allée le visiter. J'ai dîné avec lui et sa femme Marie-Hélène et il a partagé avec moi tous ce qu'il savait des frères Rousseau. Ils devraient d'ailleurs me rendre visite cet été, ce qui devrait s'avérer très plaisant!

29 avril
Pendant notre arrêt au cimetière de Ranville lors de la formation, je fais mon petit exposé de cinq minutes. En fait, je crois que ça a peut-être duré un peu plus puisque je trouvais important de parler de Philippe, mais aussi de Maurice puisque leurs histoires vont de pair. Voici donc le récit de Philippe Rousseau:

Lieutenant Philippe Rousseau

2 mai 1921 – 6 juin 1944

Décédé à Gonneville-sur-Mer, Calvados, France

Philippe Rousseau est né à Montréal, mais demeurait à Montmagny, près de Québec. Il était le fils de Lacasse Rousseau, ingénieur-électricien et de Gabrielle Fafard.

Il venait d’une famille de 14 enfants, 12 garçons et 2 filles. Parmi ceux-ci se trouvait le Lieutenant Maurice qui faisait partie du Special Air Service (SAS), Jacques, directeur du Jardin Botanique de Montréal, et ses deux sœurs étudiantes en médecine, Pauline et Marie, avec lui sur la photo de droite.

Philippe Rousseau intègre le Régiment de la Chaudière à Lévis avant de s’enrôler dans le Premier Bataillon de parachutistes dès sa création en juillet 1942. Il est déjà officier, ayant gradué du Royal Military College de Kingston avec Maurice. Il se qualifie comme parachutiste à Ringway en Angleterre à la fin de 1943, peu après son frère. Sur la photo, Philippe est à gauche et Maurice à droite, alors tout deux membres du Premier Bataillon de parachutistes canadiens.

Durant l’hiver 1944, il succède à son frère Maurice comme officier de la section 4 de la compagnie B. Il ne parle alors que peu l’anglais mais apprend très rapidement. Il parlera toujours dans des élans passionnés que ses hommes n’oublieront jamais.

Maurice s’est quant à lui engagé dans le SAS, le Special Air Service, abandonnant son grade de capitaine pour redevenir lieutenant. « He was eager to come to grips with the enemy and had no way of knowing when D-Day would be. » (A Rising of courage) Le SAS est une unité de parachutistes britanniques faisant partie de commandos spéciaux. Leurs missions sont toujours périeuses et consistent à effectuer du sabotage, à voler les banques pour fournir de l'argent allemand aux alliés ou encore à attaquer des convois, le tout derrière les lignes ennemies et coupé de tout renfort. Les SAS nuisent tellement aux Allemands qu'Hitler a ordonné que tout membre du SAS fait prisonnier soit immédiatement abattu.

L’invasion

Les troupes aéroportées prennent place à bord des avions pour la traversée de la Manche vers minuit dans la nuit du 5 au 6 juin 1944. Pour remonter le moral de ses troupes, le Lieutenant Philippe Rousseau chante et bat la mesure. A 0100, le groupe de 20 hommes est largué en trois étapes, le lieutenant Rousseau étant le dernier d’entre tous à sauter de l’avion. Alors que le Drop Zone (DZ) ne devait avoir que quelques centaines de mètres et avoir déjà été sécurisé par la compagnie C, de nombreux problèmes firent en sorte que les parachutistes furent largués dans une zone 40 fois plus large que prévue. Les parachutistes n’atterrirent donc ni groupés, ni « en sécurité ». Nombreux furent ceux qui se noyèrent, parachutés dans des champs ennoyés par les allemands et alourdis par les munitions supplémentaires qu’ils portaient, ou qui furent fait prisonniers par les allemands alertés de l’imminence d’une invasion alliée.

Alors que ses hommes tentaient aussi bien que mal de se regrouper, le lieutenant Rousseau menait à bien la mission secrète qui lui avait été confiée, tout comme à deux autres hommes, l’ordonnance James George Broadfoot et le Caporal Boyd Anderson. Le caporal Anderson explique ainsi leur mission:

Lt Rousseau explained that some ten miles or so from our drop zone was the town of Dozule, which our intelligence people did not know very much about. It was located on a main highway going to Caen. The name of the mayor of Dozule was also Rousseau, the same name as my officer. It was thought that the mayor was friendly to our cause. The plan was for Lt Rousseau, the batman Broadfoot, and me to meet in the drop zone with all haste. We were to ignore whatever trouble was going on and to proceed immediately by whatever means we could to Dozule and locate Mayor Rousseau and strike up a conversation with him with the hope of establishing a relationship and find out the numbers and disposition of the German troops in the area. Lt Rousseau was very excited about this assignment and of course I was pleased to have been selected for this dangerous but unusual task and, like Lt Rousseau, I was all gung ho to get at the job. Little did I know that Lt Rousseau would be killed in the early daylight hours of the first day and that Broadfoot would be shot to death in the ditch the next afternoon just a few feet from were I was located behind a hedgerow. (Boys of the cloud)

Ayant sauté en dernier de l’avion, le lieutenant Rousseau ne trouva que quatre de ses hommes, et il n’arriva à retrouver ni le soldat Broadfoot, ni le caporal Anderson. Il se dirigea immédiatement vers la maison la plus proche pour prendre des repères, et il s’aperçut en parlant avec ses habitants qu’il avait été parachuté à plus de vingt kilomètres à l’est de son objectif.

Cela ne le démina pourtant pas puisqu’il avait été parachuté plus près de son objectif que prévu. Le lieutenant pris alors immédiatement la direction de Dozulé pour remplir sa mission accompagné des soldats rencontrés.

Deux heures plus tard, les cinq hommes furent pris dans un feu croisé avec des soldats allemands et le lieutenant Rousseau et le soldat Oxtoby périrent sur le coup. « Il est très possible que si le lieutenant Rousseau avait pris sa place dans le rang comme l’aurait fait tout autre officier, il n’eut pas été tué, mais comme d’habitude, il prenait soin de ses hommes avant tout et marchait à la tête de la petite troupe » raconte le soldat Irwin Willsey. Les balles atteignirent les grenades à phosphore que portait le lieutenant Rousseau à sa ceinture et celles-ci s’enflammèrent. Toutefois, les opinions divergent à savoir s’ils périrent des brulures ou des tirs ennemis. Deux des soldats les accompagnants réussirent à s’en tirer indemnes, alors que le troisième fut blessé et fait prisonnier peu après.

« Le lieutenant Rousseau était, je le répète un vrai soldat, un homme d’honneur, discipliné et je suis convaincu qu’il fit le maximum pour mener à bien sa mission sur Dozulé. S’il n’avait pas eu cet ordre, il serait resté dans les parages dans le but de retrouver le reste du groupe. » Caporal Anderson (Gonneville-sur-Mer 1939-1944)

Maurice, le frère de Philippe, n’apprit que le 19 septembre 1944 la mort de son frère survenue lors du débarquement. Ce dernier n’avait finalement passé que 2 heures en sol français. L’ironie du sort voulait que Maurice trouve la mort le lendemain, 20 septembre, sauvant 3 de ses hommes en affrontant seul une cinquantaine d’allemands. Les deux frères sont enterrés l’un à côté de l’autre au cimetière militaire de Ranville en Normandie.

2 commentaires:

Pierre Lagacé a dit...

J'ai lu avec un très grand intérêt votre billet sur les frères Rousseau.

Je connais personnellement une personne qui connaît (connaissait) très bien la famille. Les frères Rousseau étaient ses idoles de jeunesse.

Gilles Boulanger m'a demandé de faire une recherche sur leur sort.

Je vous trouve privilégiée d'avoir rencontré des gens qui ont voulu vous parler des frères Rousseau.

Par contre, cette phrase m'a fait sursauter... et j'en ai parlé à monsieur Boulanger.

Ils sont assez âgés et sont - selon lui - des gens assez bourgeois de la haute ville de Québec

Pour monsieur Boulanger, l'utilisation de l'épithète de bourgeois concernant les survivants de la famille Rousseau est malheureusement inapproprié et tout à fait fausse. Ces gens qu'il a revu après la guerre ont été complètement dévasté par la mort des deux fils.

Je tenais à vous le dire en espérant que vous pourrez corriger le tir de votre billet.

Monsieur Boulanger retourne en France en juin. On a nommé une école en son nom à Courseulles-sur-Mer.

Gilles Boulanger DFC, qui a maintenant 87 ans, était un mitrailleur sur un Halifax de l'escadrille 425 Alouettes.

Pierre Lagacé

Pierre Lagacé a dit...

J'ai pris contact avec Monsieur Villemin qui a un site sur la Résistance en Vosges.

Il parle des SAS en Vosges.
Une histoire bouleversante d'une population déportée. Elle protégeait les soldats du SAS cachés dans les forêts.

http://www.resistance-deportation.org/spip.php?rubrique14

On ne mentionne le lieutenant Rousseau qu'une fois dans le chapitre sur l'Opération Loyton.

Merci pour votre belle recherche sur les frères Rousseau.

Je connais aussi maintenant le sens du mot factoïde.

 

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